La beauté pour tous


Claude Oger


Femme de quarante ans, Vanina consulte parce qu’à l’intérieur de son corps, ça bouge dans tous les sens. Très angoissée par ses os, ses ligaments, ses muscles, ses dents toujours en mouvement, elle est envahie par ces phénomènes depuis l’opération plastique de sa mâchoire. « L’écarter » était un impératif qu’elle a pu réaliser après la rencontre du chirurgien qui enfin a accepté l’intervention.
La chirurgie plastique apparaît comme la panacée au trouble de l’estime de soi. La lecture du Courrier International le montre comme un phénomène mondialisé.
À la clinique de chirurgie plastique Time1, de Shanghai le chiffre d’affaires est en hausse de 40 % par rapport à l’année dernière, à cause de la crise économique. Beaucoup ont perdu leur emploi, « ils veulent mettre toutes les chances de leur côté pour leur prochain entretien d’embauche », précise, le docteur Liao Yuhua, avant d’ajouter que les familles chinoises « soutiennent » activement cette tendance. Dans sa clinique, les interventions les plus demandées consistent à débrider les yeux et à allonger le nez. Bon nombre de ses patients sont des médecins, des infirmières ou des professeurs. « La beauté est un facteur de communication très important dans ces professions », le Dr Yuhua se rappelle d’une époque où tout recours à la chirurgie esthétique aurait été vu comme un signe de décadence bourgeoise.
En Pologne2, la correction des oreilles constitue 90 % des opérations esthétiques effectuées sur les enfants. « Chez nous, on en dénombre une cinquantaine cette année, soit 25 % de plus qu'en 2012 », explique le chirurgien Tadeusz Witwicki, de Varsovie. « La plupart des opérations sont effectuées juste avant la période de la première communion (juin) et avant les grandes vacances », ajoute Jerzy Wielgus, de l'Euroclinique de Katowice, en Silésie. « Pour certains parents, l'opération esthétique constitue le même genre de cadeau que l'ordinateur pour la première communion de leur progéniture. « J'ai déjà rencontré un parrain qui a offert de l'argent pour la correction du nez de son filleul », affirme la psychologue Anna Nowakowska.
Au Brésil, les pauvres ont eux aussi le droit d’être beaux : telle est la devise du plus célèbre des chirurgiens esthétiques brésiliens, Ivo Pitanguy. Un anthropologue américain Alexander Edmonds3 réfléchit aux conséquences de cette démocratie du bistouri. L’opinion de Pitanguy soulève pour Edmonds une autre question : la beauté est-elle un droit qui doit être mis en œuvre, au même titre que l’éducation ou la santé, avec le concours et les compétences des pouvoirs publics ? Le chirurgien dit avoir une approche « humaniste » de la médecine. Il a à son actif plus de 800 publications, techniques pour la plupart. Ses écrits, qui couvrent un champ très large, lui ont valu un fauteuil à la prestigieuse Académie brésilienne des lettres. Son œuvre présente une justification thérapeutique radicale de la chirurgie esthétique. Pour Pitanguy, ce n’est pas le corps que l’on soigne, mais l’esprit. Un chirurgien plasticien est un « psychologue avec un bistouri à la main ». C’est pour cela que Pitanguy plaide pour « l’union » des actes de chirurgie esthétique et réparatrice. Un changement qui s’est produit dans le paysage thérapeutique au Brésil. La psychanalyse et la chirurgie plastique, qui étaient jadis des spécialités à la marge, ont progressé de pair. Les idées de Pitanguy n’auraient pas eu autant d’influence si l’homme n’avait pas la réputation d’être un chirurgien de talent. La culture populaire brésilienne regorge d’une nouvelle sorte de célébrité : la siliconada, être « plus parfaite ».
Comme partout dans le monde, au Brésil les patients de la chirurgie esthétique sont en majorité des femmes. Dans les favelas, les rêves de mobilité sociale sont beaucoup centrés sur le corps. Des associations proposent des cours gratuits de mannequinat. Le mariage est souvent considéré comme un luxe hors d’atteinte, la séduction comme un moyen d’échapper à la pauvreté. Pour beaucoup l’attrait physique joue un rôle essentiel dans la concurrence économique et sexuelle, la visibilité sociale et le bien-être mental. Cette « valeur » de l’apparence est particulièrement importante pour ceux qui sont exclus des autres modes d’ascension sociale. Pour les pauvres, la beauté est souvent une forme de capital qui permet d’acquérir d’autres avantages, aussi petits, passagers ou peu propices au changement collectif qu’ils soient.
En Inde4, devenue abordable dans les villes de province, la chirurgie esthétique fait fureur. Les parents n’hésitent pas à envoyer leurs filles pour en faire de parfaites femmes à marier. Maintenant, ce sont les hommes qui se bousculent au rayon cosmétique. Non pas pour offrir un cadeau à leur amoureuse, mais bien pour s’acheter la dernière crème éclaircissante à la mode. Ils se préoccupent aussi d’améliorer leur quotidien, notamment en s’offrant un physique plus agréable. Les chiffres sont impressionnants. Le rapport 2010 de la Société internationale de chirurgie esthétique place l’Inde au quatrième rang mondial des centres de chirurgie esthétique. 5,2 % des interventions chirurgicales mondiales y sont effectuées juste derrière les Etats-Unis, le Brésil et la Chine. Les stars de Bollywood restent la beauté de référence dans toutes les petites et moyennes villes indiennes. Nirmala, une jeune femme, présente sa requête à son chirurgien, comme si elle demandait à un tailleur de reprendre un chemisier trop grand. Mais en Inde une femme doit faire le maximum pour apparaître comme l’épouse idéale.
Cette quête de l’image parfaite tyrannise Vanina. Elle résonne sans fin, en miroir, avec la parole de sa mère. Elle a tenté de réeliser, avec l’assentiment d’un chirurgien, le signifiant maternel « écarté » qui l’épingle dans son corps depuis sa plus tendre enfance. Mais depuis, l’image s’en trouve envahie d’une jouissance mortifère. Être parfaite peut virer au cauchemar.


1 Article de Patti Waldmeir dans Financial Times du 15 octobre 2009.
2 Article de Justyna Suchecka dans Gazeta Wyborcza du 27 mai 2013.
3 Article de Alexander Edmonds dans le New York Times du 17 novembre 2011.
4 Article de Nishita Jha dans « Tehelka » du 5 mai 2011.

Homme, Femme, Autre

Un texte de Marie-Édith Cypris

En mars et avril 2013 deux textes de Laetitia Jodeau-Belle sont parus sur le Blog du Forum Campus-Psy à propos du transsexualisme. Le premier faisait largement référence à l’ouvrage de Marie-Édith Cypris, Mémoires d’une transsexuelle. La belle au moi dormant, paru chez PUF en 2012.
Madame Cypris ayant lu ces textes a souhaité apporter sa propre contribution à notre blog. Elle nous a adressé un long article, intitulé
 □ Homme □ Femme □ Autre
dont elle nous autorise à publier des extraits. Nous la remercions vivement de sa contribution à notre réflexion.
Voici le premier texte qui sera suivi d’autres pages de l’auteur dans les prochaines parutions du blog.

Homme, Femme, Autre,
I
Une vérité à soutenir dans la réalité sociale
Marie-Édith Cypris
J’ai pu insister sur ce point dans mon ouvrage Mémoires d’une transsexuelle : mon identité personnelle, a fortiori l’idée que j’ai de mon genre, ne sont que pré-identités présumées par mes soins car corrélées à l’occasion d’apparaître à l’autre, en devenant identité sociale1. « C’est le regard de l’autre qui me constitue » nous dit Lacan, d’où l’identité personnelle n’est qu’un songe qui se ballote, infusant dans le liquide amniotique d’une cérébralité recluse.
Elle est condamnée, peu ou prou, à un délitement par le réel, et il nous faut accepter cette distorsion qui écrit notre histoire passée, présente et à venir. À ce sujet, Clément Rosset précise que « l’on s’en tient à vos faits et gestes, pas à ce qui peut vous passer par la tête ». Mon genre, ni nommé ni reconnu par l’autre, n’est qu’un projet intime, qui reste une vérité à soutenir dans la réalité sociale. Il sera donc évalué non pas sur les critères que je porte dans mon identité personnelle fantomatique, mais selon les codes et les lois qui ont cours dans la culture sociale où j’apparais.
Le genre ne serait-il pas in fine l’identité sociale féminine et masculine, dont nous sommes contraints d’intérioriser la loi, en alignant corps et psyché sur ses modèles, qui nous incitent de plus à l’hétérosexualité ? L’identité personnelle et sexuelle ne pouvant se résoudre à demeurer sans identité sociale, les troubles de l’identité sexuelle et de genre portent les preuves, par leur quête de se normaliser socialement, que sexe et genre, même corrompus par les institutions et les lois, sont des outils obligatoires à la construction de soi.
Un homme transsexuel ne ressent aucune identité personnelle et de genre pour sa vocation masculine. Seuls le refus de son corps et les tourments de sa psyché fondent son état ; de fait, il est incapable de se construire une identité sociale. D’où sa désignation comme étant de genre masculin lui reste totalement étrangère, en dépit de son sexe anatomique. Dès qu’il règle son problème d’identité sexuelle en changeant de sexe, il devient capable de se mettre en scène et de déployer une identité personnelle entérinée en identité sociale. Et cela passe aussi par le changement d’état civil, la carte d’identité, tout document qui atteste de l’identité sociale désormais approuvée. Au point que les choses ne marchent pas pour les trans dès lors que l’identité de genre personnelle fantasmée, n’est pas reconnue par les tribunaux.
C’est le cas en France pour les hommes qui, par exemple, souhaitent garder leurs organes génitaux, et devenir femmes sociales. D’où cette rage désespérée qui s’exprime via un militantisme qui n’a pour objet, quant à leurs identités personnelles et à leur corps mi-homme mi-femme, dont ils décident du genre, que d’être reconnu comme identité sociale. Ce qu’obtient le transsexuel homme, au prix d’une castration et d’une reconstruction d’un sexe féminin, qui d’ailleurs lui ouvre les portes de son identité personnelle emprisonnée, c’est la possibilité de son identité sociale. En outre, il n’ignore pas la place qu’a pris son corps dans cette construction, et de fait, corps et psyché lui ont révélé son empêchement d’acquérir identité personnelle et identité sociale de genre.
Ce que fait l’identité sociale pour l’identité personnelle et le genre, elle peut aussi le défaire. Quand je perçois un malaise dans mon identité personnelle ou mon genre, je peux être sûr que la cause se trouve dans mon identité sociale. Souffrance au travail, problèmes dans mon couple –car, oui, le couple est déjà de l’identité sociale – prise de poids ou signes corporels de l’âge qui m’écartent des stéréotypes, quand des décalages modifient la conscience que j’ai de moi-même, de mon identité personnelle, c’est dans l’identité sociale que le mal se découvre. D’où l’identité personnelle est insignifiante, c’est l’identité sociale qui est signifiante. (A suivre)
11 Le sous-titre de cet extrait est choisi par le comité éditorial.

Chirurgie prophylactique


Aurélien Bomy et Solenne Albert ont rencontré le Docteur Raphaëlle Pioud-Martigny, chirurgien spécialisée en gynécologie et chirurgie du sein, exerçant à Nantes. Pour le blog du forum Campus-psy ils ont conversé avec elle à propos de la chirurgie prophylactique.
Nous remercions le Docteur Pioud-Martigny d’accepter que cet entretien soit publié.
En voici la première partie.

Aurélien Bomy : Angélina Jolie dans un entretien accordé au New York Times, a révélé récemment avoir « subi une double mastectomie préventive ». Ces révélations ont fait la une de nombreux magazines, apprenant au grand public l’existence de la pratique, jusqu’alors méconnue, de la chirurgie prophylactique. Dr Pioud-Martigny, pouvez-vous nous dire en quoi cela consiste ?

Dr R. Pioud-Martigny : Cela consiste à enlever la glande mammaire car les femmes, chez qui elle est pratiquée sont prédisposées à un risque majeur de développer un cancer uni ou bi-latéral. Le fait d’enlever la glande mammaire va diminuer de pratiquement 90% le risque qu’elles développent un cancer du sein. Ça n’empêche pas une surveillance, de la peau du sein notamment que l’on va conserver, des aires ganglionnaires, parfois des ovaires. Car il y a d’autres prédispositions, à d’autres cancers : celui des ovaires notamment. En conservant la peau du sein, on va pouvoir leur proposer de reconstruire un volume mammaire dans le même temps que la mastectomie.

Solenne Albert : Dans le même temps ?

R.P-M. : Oui. L’intérêt de cette technique est de pouvoir proposer la reconstruction mammaire. Que les femmes puissent se réveiller avec un volume mammaire et pas de mutilation. En sachant que ce ne sont pas leurs seins d’avant. La chirurgie ça donne des seins différents qu’il va falloir adopter, des sensations différentes aussi, mais ça évite la mutilation.

A.B. : Vous parliez d’une prédisposition chez ces femmes à développer un cancer du sein. Il s’agit donc d’une intervention pratiquée suite à une enquête génétique ?

R.P-M. : Ce sont des femmes qui ont un contexte familial avec de nombreux cas de cancer du sein au fil des générations. Il peut y avoir des sœurs des cousines… et chaque génération est très marquée par le cancer du sein et le cancer des ovaires pour l’un des deux gênes. Une recherche génétique a lieu pour savoir si elles sont porteuses de mutation sur les deux gênes que l’on connait pour l’instant (BRCA1 et BRCA2). Si oui, on sait qu’elles risquent (50%) de le transmettre à leurs descendants. On proposera alors à la fratrie, aux ascendants et descendants d’être dépistés. Quand ces personnes font cette démarche, c’est toujours avec leur accord, elles sont majeures et sont d’abord informées qu’un membre de leur famille est porteur de ce gène muté. Après elles font la démarche, ou pas, de se tester pour savoir si elles sont porteuses.

A.B. : Les interventions de chirurgie prophylactique que vous pratiquez sont donc réalisées avant que ne se développe une maladie dont une prédisposition a été avérée ?

R.P-M. : Oui. On sait qu’elles sont porteuses de ce gène muté, mais elles n’ont pas encore développé la maladie.

A.B. : Depuis quand cette pratique existe-t-elle en France ?

R. P-M. : Le dépistage génétique BRCA1/BRCA2 existe depuis peut-être une quinzaine d’années. En France, on pratique la chirurgie prophylactique depuis une bonne dizaine d’années parce qu’il y a de plus en plus de dépistages. Ceux-ci se sont de plus en plus organisés ; il y a des unités de génétique, et l’on va, lorsqu’une femme développe un cancer du sein, systématiquement lui poser la question de ses antécédents familiaux et orienter certaines d’entre elles vers un dépistage génétique. Sachant aussi que toutes les femmes mutées n’acceptent pas une mastectomie prophylactique.

S.A. : Que se passe-t-il alors ?

R. P-M. : Les femmes mutées peuvent être suivies avec des contrôles plus réguliers ; c’est une démarche de dépistage du cancer plus poussé. Elles choisissent plutôt le dépistage car elles ne sont pas prêtes à faire l’opération. Elles ont donc des examens : mammographie, échographie tous les ans et des IRM. D’autres femmes ont peur de la maladie et préfèrent se débarrasser de leurs glandes mammaires par une mastectomie radicale.

A.B. : La chirurgie est-elle proposée dans tous les cas de mutation génétique avérée ?

R. P-M. : Oui. Lors des consultations avec le généticien, au moment de la restitution du résultat, si celui-ci est positif. Il leur explique les différentes voies possibles : soit la surveillance, soit la mastectomie prophylactique. Après il y a toujours un délai de réflexion. On conseille d’être suivi psychologiquement parce que ce n’est pas facile de savoir qu’on est muté avec le risque que ça entraîne. Et on leur propose toujours de rencontrer un chirurgien pour savoir en quoi consiste cette opération. Ce n’est pas un coup de baguette magique la chirurgie ! Il peut y avoir des complications. Dans la reconstruction aussi. Il est très important que ces femmes soient bien informées, qu’elles connaissent les tenants et aboutissants de leur choix entre le dépistage et une technique plus active.

A.B. : Vous disiez qu’en Amérique cette pratique est beaucoup plus développée et qu’elle peut être proposée sans qu’une mutation ait été dépistée.

R.P-M. : Il y a quelques années, aux Etats-Unis, les mastectomies prophylactiques étaient plus fréquentes, même dans des contextes non-mutés, chez des femmes qui avaient des problèmes de surveillance. Ils en reviennent… Enlever un sein à une femme n’est pas anodin. La reconstruction ce n’est pas rien non plus. Psychologiquement, ce n’est pas facile d’adopter son nouveau corps. En plus il faut voir si ça en vaut la peine par rapport au risque de cancer, aux risques liés à cette chirurgie. La mastectomie prophylactique nous la pratiquons dans un contexte où ces femmes ont quasiment 100% de probabilités, si elles vivent jusqu’à 100 ans ou 90 ans, de développer un cancer du sein. De plus ce sont des femmes qui, bien souvent dans leur famille ont connu de nombreux cas de cancers sur plusieurs générations et de plus en plus jeune. Elles vont avoir plus tendance à choisir une démarche active et thérapeutique que de surveillance.

A.B. : Y-a-t-il des lois qui encadrent la pratique de la chirurgie prophylactique ?

R. P-M. : Non, il n’y a pas de loi.

A.B. : Des consensus ?

R.P-M. : Oui des consensus dans nos professions en cancérologie, des indications en fonctions des évolutions scientifiques, mais pas de lois.

A.B. : Est-ce que cela entraîne des différences de pratiques d’un médecin à un autre ?

R. P-M. : En France nous avons la chance d’être très encadrés. Nous avons tous des référentiels de spécialités, des indications. Ces femmes-là passent systématiquement en UCPO (unité de ciblage pharmacologique en cancérologie) en discussions pluridisciplinaires. Quand elles sont mutées et qu’il y a une indication de chirurgie prophylactique, on a un consensus sur leurs dossiers qui est présenté en unité pluridisciplinaire de cancérologie, avec une obligation d’avoir rencontré au moins une fois un psychologue. Et il y a un délai d’au moins trois mois avant d’envisager la chirurgie.
(A suivre)


Le forum Campus – Psy, « Nouvelles pratiques du corps : entre désir et droit » C’est le 5 octobre, à Rennes, inscrivez-vous rapidement !


Anne-Marie Le Mercier
Organisé conjointement par l’Association Cause freudienne Val de Loire–Bretagne et les sections et antennes cliniques de l’Ouest, ce forum est un évènement. Des psychanalystes recevront des juristes, un physicien, des sportifs, des médecins, et des cliniciens, pour dialoguer avec eux sur la façon dont chacun traite les questions politiques, éthiques et scientifiques soulevées par les pratiques contemporaines du corps.
Les avancées de la science, de la médecine, de la technologie permettent de franchir nombre de limites jusque là imposées au corps par la maladie ou le handicap, mais aussi de modifier le corps sexué, et d’amplifier les performances sportives, sexuelles, voire intellectuelles… Au-delà du soin, elles suscitent des désirs et des revendications face auxquelles le juriste, le médecin, le psychanalyste et le clinicien ne peuvent rester indifférents.
Notre forum sera vif, ouvert. Il conjuguera diverses approches théoriques, cliniques, éthiques, et nous espérons qu’il permettra à chacun de trouver un éclairage précis sur des questions que nul ne peut tenir pour résolues.
Maître Charrière-Bournazel, président du Conseil National du Barreau jusqu’en juillet dernier, ancien Bâtonnier du Barreau de Paris, nous parlera du lien entre le droit et la vie. Maître De Gouberville, avocate rennaise, évoquera la pratique du juriste face aux nouvelles stratégies concernant le désir d’enfant. Le professeur Etienne Klein, physicien, enseignant à l’Ecole Centrale, docteur en philosophie des sciences et directeur du laboratoire de recherche sur les sciences de la matière au CEA de Saclay, nous éclairera de son expérience sportive de l’ultratrail, tout en s’interrogeant sur les espoirs et les craintes que peuvent susciter les nanotechnologies dans la quête de la performance. Des sportifs de haut niveau comme Stéphane Houdet champion handisport de tennis, témoigneront de leur rapport aux limites du corps et à la vie, dans leur pratique sportive… Le Docteur Odile Buisson, gynécologue, connue pour ses travaux et ses publications sur la sexualité féminine et le point G, traitera du droit au plaisir…
Des psychanalystes et des cliniciens apporteront également leur témoignage et leurs questions concernant le thème de notre forum : Pierre-Gilles Guéguen, le Docteur Bernard Porcheret, le Professeur Jean-Claude Maleval, le Docteur Armelle Guivarch, le Docteur David Briard…
Psychanalystes ou non, si cette question du corps dans la société contemporaine vous intéresse, n’attendez plus pour vous inscrire !
LE FORUM EST OUVERT A TOUS !
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Disposer de son corps
Guilaine Guilaumé

L’exposition « Au bazar du genre : féminin/masculin en Méditerranée » créa l’événement en juin dernier lors de l’inauguration du MuCem (Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) à Marseille. Elle rend compte des divers modes de vie selon le genre masculin ou féminin qui indexe l’individu, des coutumes qui y sont liées ainsi que des troubles engendrés par cette partition au fil des temps révélant que, depuis longtemps, l’anatomie n’est pas le destin et que, depuis Simone de Beauvoir, « on ne naît pas femme, on le devient ».  
En juin également, le film Bambi est sorti en salle, documentaire réalisé par Sébastien Lifshitz qui dresse un magnifique portrait de l’une des premières transsexuelles françaises, née Jean-Pierre Pruvot en 1935 à Alger. «  J’avais la haine de mon prénom, je ne voulais pas être ce prénom ». Lorsqu’elle découvre, à 17 ans,  la revue d’un cabaret de travestis en tournée, sa vie bascule. Elle se fait opérer en 1958 et devient Bambi, figure mythique des cabarets parisiens des années 50-60. Elle déclare avoir voulu être elle-même, se libérer de cette identité sociale qu’elle ne percevait pas comme étant la sienne, elle dit avoir voulu s’arracher à un destin tout tracé.
Permettre à chacun de disposer de son corps comme il l’entend est un signe de notre temps produit par les progrès technico-scientifiques alliés à l’explosion libérale. Le désir prométhéen de l’homme lui fait espérer le « meilleur des mondes » : celui où la bio-technologie permettra de fabriquer des créatures selon le bon plaisir de chacun. Que ce soit sur le plan des performances physiques et sportives, de la fécondation, de la procréation, la science se fait l’alliée des jouissances des sujets. Le droit est convoqué dans certaines occasions, comme dans celle de la GPA (gestation pour autrui). En France, plus de 1000 enfants de couples, essentiellement hétérosexuels et infertiles, seraient nés d’une mère porteuse, rémunérée, dans certains états des USA, au Canada ou en Inde. Les plus âgés ont une vingtaine d’années et la récente circulaire Taubira vise à faciliter l’obtention d’un certificat de nationalité française (et non pas une inscription à l’état-civil français) pour les 44 cas recensés par la justice entre 2008 et 2011,  issus d’une GPA à l’étranger.
Toutes ces inventions humaines pour donner droit aux désirs et à la jouissance se heurtent aux idéologies les plus diverses. Bien après l’invention de la psychanalyse, les sciences sociales et les religions ont encore beaucoup de difficultés à lâcher leur arrimage à un naturalisme, grand ordonnateur des liens entre les sexes.
La psychanalyse, loin de tout moralisme et de toute nostalgie, promeut une éthique qui contre toute tentative de communautarisme et de ségrégation. Pour la psychanalyse, pas de norme qui vaille, ni aucun ordre social, naturel ou religieux. Seul l’ordre du symptôme, singulier à chacun, saturé de jouissance, constitue la boussole permettant de lire l’époque contemporaine. « À l’endroit des actions humaines, il s’agit de ne pas se moquer, ne pas prendre en pitié, ni en haine, mais de comprendre ». (Spinoza, Traité sur la politique).
Pour la psychanalyse, au fond,  le grand bazar, c’est le sexuel, bazar dans lequel chaque sujet se débrouille à sa façon, car il n’existe aucune essence de l’être, a fortiori de l’être masculin ou féminin. Le sexe qui marque les corps, indéniablement, ne dicte rien aux sujets et « le sinthome est bien le destin que chacun peut donner de mieux à sa Jouissance ». (Quarto, n° 104, p. 2 ).
L’Association de la Cause freudienne, les Sections et antennes cliniques, de la région Val de Loire-Bretagne ne sont pas à la traîne sur ces questions puisqu’elles organisent, conjointement, le samedi 5 octobre 2013 à Rennes, une journée prometteuse sur toutes ces questions de société.
Alors, si vous ne connaissez pas Campus Psy, si vous ne connaissez pas le blog préparatoire à la journée, si vous n’êtes pas inscrit, réagissez ! Ouvrez très vite votre ordinateur, tapez : campuspsy-vlb et découvrez l’argument, le programme, les contributions et les modalités d’inscription au forum. Ne ratez pas cette occasion d’entendre des sportifs de haut niveau, des professionnels du droit et de la santé parler de notre monde contemporain à partir de leurs expériences subjectives. Ne ratez pas non plus l’occasion d’entendre des psychanalystes donner de la voix sur la politique de la cité.
Inscrivez-vous, nous vous attendons nombreux ce jour-là car ce forum sur les manifestations diverses et variées de la subjectivité ne peut pas se tenir sans vous, sans la libido nécessaire à toute entreprise humaine, la marque du vivant en chacun de nous.
C’est ce qu’a formulé avec vigueur Olivier Py, futur directeur du Festival d’Avignon, dans cette admonestation qu’il adresse au monde lors d’un entretien à propos de son dernier spectacle, qu’il joue en travesti, « Miss Knife chante Olivier Py », donné cet été dans le off  : « Les corps sont exposés, manipulés, utilisés, mais on manque de corps. Il n’y a pas assez de libido, pas assez de circulation entre l’intérieur et l’extérieur. Cette circulation est la vie même ».
Alors, gageons que le 5 octobre, nous serons tous présents, en chair et en os, vibrant de ce lien qui nous unit à la psychanalyse et à la vie.