Avec la loi sur le mariage pour tous, la « Procréation
Médicalement Assistée » était récemment sous les feux des projecteurs
médiatiques. La procréation artificielle est entrée dans le champ des nouvelles
revendications du droit. Comment la psychanalyse peut-elle nous aider à lire
cette nouvelle pratique du corps ?
Traditionnellement, la procréation c’était le destin. Il
allait de soi que pour avoir un enfant, un homme et une femme se devaient d’en
passer par la rencontre des corps, c’était quelque chose de naturel. Au xxie siècle, rien de moins
évident, comme nous le rappelle Jacques-Alain Miller, « Tout ce qui
avait été de l’ordre immuable de la reproduction est en mouvement, en
transformation »1.
« C’est comme ça aujourd’hui ! » voilà
comment l’exprime un jeune couple faisant appel au service de PMA et pour qui
le désir d’avoir un enfant est revendiqué comme un droit : « On sait
ce qu’on veut, et on ira jusqu’au bout ! »
Au xxe siècle, la
contraception s’est généralisée, principalement après sa légalisation par la
loi de 1967. On peut penser que s’est alors répandue dans la société une sorte
d’illusion de la fécondité. En effet, à partir du moment où l’on pouvait ne pas
avoir d’enfants quand on n’en voulait pas, pourquoi ne pas choisir le moment ou
l’on en voulait un ? On est entré dans une ère ou les cycles naturels de
la vie, du désir et de la surprise ont laissé place au mythe de la
programmation de la vie. Lacan le disait déjà en 1971 : « Peut-être
qu’un jour, il n’y aura plus la moindre question sur le spermato et l’ovule, ils sont faits l’un pour l’autre, ça sera écrit… »2
La
montée des discours de la science et du capitalisme ont démasqué le Nom-du-Père
et l’ont relégué au rang de semblant démodé. Puis, comme le dit J.-A. Miller,
ces discours « ont commencé à détruire la structure traditionnelle de
l’expérience humaine »3. Au xxie siècle, le discours du
maître est articulé au savoir scientifique et s’écrit en langage mathématique.
Il ne s’embarrasse pas du fait que l’homme soit un parlêtre immergé dans un bain de langage. Dans ce nouveau monde, le
signifiant « infertile » vient se substituer au signifiant
« stérile » indiquant que la science a franchi les limites de la
nature.
C’est à
la fin du xviiie
siècle que le prêtre naturaliste italien Lazarro Spallanzani a découvert la
fécondation d’ovules par les spermatozoïdes et réalisé la première
insémination. Aujourd’hui, les techniques développées par la science et
utilisées pour le profit capitaliste ont transformé la procréation en marché. En
Catalogne on ne compte pas moins de 31 centres publics et une centaine
d'établissements privés qui se partagent le marché. En France, la loi de
bioéthique délimite l'usage des techniques de PMA et tente ainsi de réguler les
dérives et les rêves du progrès scientifique et du marché.
L’infertilité
est traitée par la science comme un désordre de l’organisme que la médecine se
propose de réparer. Les politiques d’évaluation généralisées ont créé des
normes standardisées sur lesquelles se base la médecine. Les gamètes sont
dénombrées, répertoriées, classifiées. La survie et la performance des
spermatozoïdes sont testées en laboratoire. Les embryons sont, mesurés, évalués
de bonnes ou de mauvaise qualités. Tout comme les produits manufacturés, il est
possible de stocker spermatozoïdes et embryons par congélation.
Les sujets parlants hommes et femmes disparaissent
derrière le réel des corps biologiques « mâles » et
« femelles ». La science fait exister le rapport entre les sexes, là
où la psychanalyse nous enseigne un impossible logique : « l’homme et
la femme, on ne sait pas ce que c’est »4, d’où la célèbre formule « il n’y a pas de rapport sexuel »5. C’est ce que nous démontre l’intuition lacanienne de ce couple qui
pensait que s’ils rencontraient des difficultés à avoir un enfant, c’était
parce que leurs organismes étaient peut être « incompatibles ». Le
recours à la médecine implique d’accepter le traitement du corps comme objet de
l’Autre, ce qui n’est pas sans conséquences subjectives comme en témoignent ces
sujets :
Cette femme de vingt-huit ans, en pleurs, car elle avait
entendu du médecin qu’elle avait « un corps de femme de quarante ans »
et « un compte folliculaire plus bas que la moyenne ».
Cet homme qui, lors du diagnostic d’asthénospermie, avait
compris qu’il avait « des spermatozoïdes fainéants ».
Cette autre femme désemparée par « la mauvaise
qualité de ses ovocytes ».
Au un par un, les signifiants du discours du maître
viennent faire effraction pour ces sujets et les fixent dans une position
fantasmatique de jouissance.
Ce jeune couple qui souhaitait avoir un enfant depuis quelques mois avait
consulté le gynécologue pour prendre conseil. Ils sont repartis angoissés, une
pile d’ordonnances sous le bras. Quelques temps plus tard, se sentant embarqués
dans quelque chose qui les dépassait, ils sont venus témoigner de leur
embarras. Ils s’étaient pliés à la demande de l’Autre, les examens avaient
révélé une petite infertilité que la médecine s’était proposée de traiter.
« Ça va trop vite, on n’a pas le temps de s’y faire ! » étaient
les signifiants qui témoignaient du besoin de subjectiver ce qui leur arrivait.
Après un entretien, ils avaient finalement décidé de prendre leur temps. Ce que
veut le maître, nous dit Lacan, c’est que ça marche ! Et vite ! Le
surmoi nous ordonne de jouir, « il nous ordonne de jouir et en plus il
entre dans le mode d’emploi… »6. Pris dans le discours du culte de la performance, selon l’expression
du sociologue Alain Ehrenberg, le temps du désir est forclos du discours de la
science. On sait que lorsque l’objet de la pulsion n’est plus cause du désir,
quand le manque vient à manquer, le sujet peut avoir tendance à se faire objet
de la jouissance de l’Autre. En effet, vouloir un enfant n’est pas forcément le
désirer. À ignorer cette dichotomie freudienne, la médecine passe à côté de la
logique subjective des sujets qu’elle traite et peut à son tour se montrer
désemparée quand, après un long parcours pour obtenir une grossesse, un sujet
en vient à demander une IVG ! Cette situation reste
bien sûr exceptionnelle. Au mieux, quand survient la grossesse, éprouver la
complétude de l’UN peut faire cesser le malaise, pour un temps ?
1 Miller J.-A., Le réel au xxie siècle, présentation du thème du xie Congrès de l’amp, La Cause du désir, n° 82, p. 92.
2 Lacan J., D’un
discours qui ne serait pas du semblant. Inédit
3 Op. cit. p. 88.
4 Ibid., p. 40.
5 Lacan J., Le Séminaire, livre xix, …ou pire, Paris, Seuil. 2011, p. 12.
5 Lacan J., Le Séminaire, livre xix, …ou pire, Paris, Seuil. 2011, p. 12.
6 Lacan.J., Le Séminaire, livre x, L’angoisse,
Paris, Seuil, p. 96.
7 Agence de Biomédecine.
Rapport Annuel 2011, p. 65.