«Deux choses qui ne se parlent pas et qui sont dans le même corps»

Jean-Noël Donnart



Tony, jeune homme de dix-huit ans, pratique le sport en très haute intensité. C’est la solution, fragile et provisoire, qu’il a trouvée à la faille qui s’est ouverte pour lui à l’adolescence. Divers événements contingents et la rencontre énigmatique du sexuel l’ont conduit à une conviction intime, celle d’avoir un sein qui pousse. Cette atteinte à l’intégrité de son corps de garçon, élément insupportable de féminisation, le conduit à cette pratique intensive du sport.
Parallèlement, Tony se consacre, tout aussi intensivement, à la philosophie. Le savoir philosophique devient porteur d’une possible vérité absolue : Tony écrit alors, sur ses bras, des phrases de philosophes qu’il estime avoir profondément comprises.
Bientôt, il s’enferme pour ne plus partager son temps qu’entre étude et pratique sportive. Comme il le formulera : « Le sport et la lecture (des philosophes) sont deux choses qui ne se parlent pas et qui sont dans le même corps ». Toutes les ressources du savoir et de la discipline corporelle se trouvent ainsi mobilisées pour tenter de renouer langage et corps.
Avec l’analyse et l’appui du transfert, Tony cherche aujourd’hui une autre voie, moins ravageante, pour répondre de cette brèche, cartésienne au fond, qui s’est ouverte pour lui, entre jouissance en excès et non-rapport sexuel.
Pour Tony, comme pour tout parlêtre, il convient de trouver un nouage viable entre corps et langage - que ces deux choses se parlent...- sans exclure la donne du non-rapport sexuel, comme point d’impossible. Ne peut-on interpréter ce qui fait ainsi retour dans le réel de son corps, dans la conviction intime de la féminisation, et ce qu’il tente d’écrire sur la peau, comme folle tentative d’écriture du rapport sexuel - point aussi impossible qu’insupportable et menaçant ? Fantasme « aristotélicien » au fond, où forme et matière se confondent, en un corps de langage inséparable de la jouissance, au prix de la mort du sujet.