La PMA au service du penisneid

Arnaud Pellé


Si pour Freud, la petite fille est d’abord un petit garçon parce que son sexe« se comporte comme un pénis »1, très vite elle rencontre la différence anatomique des corps et la ressent comme un préjudice. L’interprétation de cette dissemblance sera « qu’elle l’a perdu»2 et elle cherchera à obtenir réparation. La petite fille dirigera alors son intérêt vers un qui le possède. « Elle sait où il est, dit Lacan, où elle doit le prendre, elle va vers celui qui l’a »3. Parce que la mère est également une femme, la petite fille supposera les attributs phalliques à celui ou celle qu’elle désire. L’amour pour l’être aimé se substituera ainsi à l’amour de la mère. Entrée dans la logique du discours, elle abandonnera son désir de pénis pour celui d’avoir un enfant. Le désir d’enfant viendra alors voiler celui de compenser sa première blessure narcissique.
Le signifiant du phallus, ses attributs mais surtout ses semblants et ses leurres, constituent toujours le point d’équilibre du rapport d’un sujet névrosé à la vie4. Le père, le chef de famille, le patriarche était celui qui se voulait être ce signifiant et en avoir les effets. Il croyait sans nul doute être ce phallus et les autres pensaient avec certitude qu’il le possédait. Cette croyance, qui explique l’importance du rapport de l’homme aux pères et aux religions s’est déséquilibré. Les être parlants ont troués l’armure phallique et cette étoffe ainsi déchirée, morcelée, multipliée, a permis la pluralisation des Noms-du-père et chacun peut maintenant choisir celui qui lui convient pour s’en servir ou s’en passer.
Pourtant, un nouveau maître s’attèle à raccommoder l’habit phallique pour en vêtir la science, ses recherches et son plus précieux l’ADN et ses gènes. Supposé tout savoir ou tout pouvoir savoir, l’être parlant demande la réparation citée plus haut. Là où le père ne peut plus rien face aux blessures narcissiques de ses enfants, la science, promet satisfaction et réponse aux besoins.
Seulement la science ignore la psychanalyse - c'est-à-dire les effets de l’inconscient sur le corps - et l’architecture de la demande. Quelle est-elle ? Si elle trouve son origine dans le besoin, dès lors qu’elle s’articule à la parole et s’adresse à un autre, elle devient double. D’abord elle vise la satisfaction du besoin, parallèlement, elle vise l’amour de l’autre. Demander est en effet, avant tout, prendre le risque d’entendre le refus de l’autre. C’est pourquoi quand l’autre accorde, « il donne ce qui est au-delà de toute satisfaction possible, son être même, qui est justement ce qui est visé dans l’amour »5.Toute demande est ainsi demande d’amour et c’est ce point qui est nié et par la science et par l’État. Chacun d’entre eux tentent ainsi de réduire toutes demandes à l’obtention de la satisfaction et les débats s’égarent.
Or, la soustraction du don d’amour augmente la demande de satisfaction qui est toujoursrefermée sur son propre narcissisme, « chaque fois qu’il y a frustration d’amour, celle-ci se compense par la satisfaction du besoin »6.
Aussi, la signification du désir d’enfant reste la même, mais l’offre que porte le discours de la science vient accroitre le désir de parfaire son narcissisme qui lui-même, vise un idéal.
C’est pourquoi la PMA semble s’inscrire dans cette logique qui sert lepenisneid étudié par Freud il y a plus d’un siècle. Elle en est simplement une voie moderne.
Il n’en reste pas moins, que ce désir d’enfant, est avant tout un désir singulier, résultat des coordonnées subjectives de celui qui l’éprouve. Énigmatique à soi-même, il se loge dans cet espace entre demande de satisfaction et demande d’amour.
Le droit dont « l’essence est de répartir, distribuer, [et] rétribuer ce qu’il en est de la jouissance »7 se retrouve à légiférer sur les conséquences de son propre discours. À refuser d’apercevoir la dimension d’amour, il monte au zénith la demande de satisfaction sans limites qu’il dénonce.
L’idéal du moi de chacun se met ainsi au premier plan et déjà les propositions du nouveau maître à l’habit phallique afflue. Choisir son spermatozoide est maintenant possible, son ADN est scruté à l’allèle près, et l’enfant génétiquement idéal arrive sur le marché.
Bien sûr, plus l’homme se comble d’objets de satisfaction jusqu’à vouloir modifier son corps, plus le gouffre du désir se dessine et plus nous en voudrons encore. « Encore, c’est le nom propre de cette faille d’où dans l’Autre part la demande d’amour »8.


1 Freud S., « La disparition du complexe d’œdipe », 1923, La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 121.
2 Freud S., Ibid.
3 Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, p. 195.
4 Lacan J., Ibid., p. 406.
5 Lacan J., Ibid.
6 Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 174.
7 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 10.
8 Lacan J., Ibid., p. 11.