Le corps piraté

Catherine Thimeur


En ce mois d’août 2012, Amal Graafstra ne risquait pas l’acte manqué d’oublier les clés de sa maison en partant ouvrir son « stand d’implantation » au Toor Camp de Washington : un implant dans sa main gauche ouvre et ferme sa porte tandis que dans sa main droite une autre puce RFID1 règle d’autres accès informatiques.
C’est donc l’article de la revue WE DEMAIN2, intitulé « Demain tous cyborgs », qui nous instruit sur ce que peut devenir notre corps non plus manquant ou même complété, mais « augmenté ».
Les applications médicales sont connues pour la maladie de Parkinson et ont permis des améliorations notables de la vie de personnes aveugles ou paralysées. L’article en fait mention et répertorie ce qui existe ou existera dans cette perspective de combat des handicaps.
Mais pour Amal Graafstra et ses adeptes il s’agit de bien autre chose : ces « bodyhackers » suivent la piste tracée par le professeur Nicolelis3 à la pointe de la robotique médicale qui s’enflamme dans la revue citée Scientific American : « Ces neuro-prothèses permettront aux scientifiques de faire bien davantage que d’aider les personnes handicapées. Elles permettront d’explorer le monde d’une façon révolutionnaire en fournissant aux personnes bien portantes la possibilité d’augmenter leurs capacités sensorielles et motrices. »
D’où l’idée d’accéder à un sixième sens par introduction, par exemple, d’une puce captant les champs magnétiques sinon imperceptibles.
Ou encore en rêvant d’un humain nouveau modifié par ses connections tel que pensé par le Professeur Warwick4 qui invoque le « je » comme définissant le corps humain jusqu’à nos jours : « À partir du moment où vous connectez votre cerveau à une machine ou a un réseau informatique « je » devient « nous » et la machine devient une nouvelle partie de vous-mêmes. »
Peut mieux faire : si « l’oreillette bluetooth » insérée derrière l’oreille en lieu et place du portable toujours égaré – objet trop là ou pas quand il faut – paraît gadget, les pirates misent sur « les implants communicants » qui rendraient possibles de « partager les émotions avec les membres de votre réseau social ».
Peut-on rêver nous aussi que l’oreille flottant au dessus de Paris dans le dessin de Tardi pour l’ECF dans les années 80, résonnera encore de paroles où le réel se fera entendre ? Et non seulement l’illusion des sensations partagées à plusieurs qui finalement n’est pas si moderne !   


1 La radio-identification, le plus souvent désignée par le sigle RFID (de l’anglais radio frequency identification), est une méthode pour mémoriser et récupérer des données à distance en utilisant des marqueurs appelés « radio-étiquettes ». Source Wikipédia.
2 Cf . WE DEMAIN n° 3, et le site : www.wedemain.fr
3 Nicolelis M., Beyond Boundaries : The New Neuroscience of Connecting Brains With Machines-And How It Will Change Our Lives, Ed. Times books, 2011.
4 Kevin Warwick est un scientifique britannique et professeur de cybernétique à l’université de Reading au Royaume-Uni. Il est probablement le plus connu pour ses études sur les interfaces directes entre les systèmes informatiques et le système nerveux humain. Il s'est greffé des électrodes dans son bras qui sont directement reliées à son système nerveux. Il a fait la promesse de créer une puce permettant à deux êtres humains de parler par télépathie pour 2015. Source Wikipédia.