Quand la douleur résiste

Marie Poulain-Berhault 


 « Pendant longtemps, la douleur a été vécue comme une fatalité. L'évolution des connaissances nous donne aujourd'hui des moyens importants, permettant de la réduire dans des proportions considérables. C'est pourquoi une réflexion a été engagée depuis plusieurs années par le ministère chargé de la santé en faveur d'une amélioration de la prise en charge des patients. La loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé du 4 mars 2002 reconnaît le soulagement de la douleur comme un droit fondamental de toute personne. Celui-ci, inscrit parmi les objectifs à atteindre dans le rapport annexé à la loi relative à la santé publique du 9 août 2004, constitue une priorité des pouvoirs publics depuis 1998. Depuis, trois plans de lutte contre la douleur sont écrits par le ministère de la santé. »[1] Dans ces perspectives, des unités mobiles de la douleur sont créées dans les hôpitaux.
Mme F, chute sur son lieu de travail en mars 2011, une fracture dorsale et un arrêt de travail en sont les conséquences. Dans les suites de cette chute, apparaît une douleur périnéale, à caractère neuropathique, avec infiltrations des nerfs clunéaux inférieurs en mars 2012 puis intervention du nerf pudendal et clunial inférieur droit en juin 2012, sans bénéfice de cette chirurgie. Le soulagement de la douleur est donc un droit que Mme F, 49 ans, revendique en attendant « le médicament miracle que les médecins pourront trouver » pour l’abréger. Les douleurs sont localisées au niveau « du vagin et des lèvres précisément. »
Depuis, elle ne peut plus s’asseoir, elle reste debout lors des entretiens et dit : « j’ai trop mal, j’avais trop mal, c’est pour ça que j’ai fait une TS. Je n’en pouvais plus, j’étais seule. » Suite à un RDV avec le médecin expert qui lui dit qu’elle ne travaillera plus, qu’elle ne devra rien demander, elle « n’aura niet ». C’est ce signifiant qui la précipite dans un laisser-tomber radical, du côté d’un passage à l’acte qui la laisse complètement seule, les mots de son mari pour la rassurer ne suffisent plus.
Elle est en arrêt de travail. Elle travaillait la nuit. Son fils quitte la région, son mari prend sa retraite, sa fille accouche… Ce sont des évènements qui viennent mettre à mal le fragile équilibre psychique de la patiente. Mme F ne semble plus avoir ses repères : son fils venait la border le soir, lui prenait ses rendez-vous chez le coiffeur et programmait ses temps de piscine. Elle demandera d’ailleurs « un ovule qu’[elle] pourrait mettre loin dans son vagin » pour être soulagée.
À la sortie de son hospitalisation, elle rencontre un médecin qui lui propose un neurostimulateur interne : implanter un stimulateur près de la colonne vertébrale. Il se trouve en moyenne 8 à 10 cm sous la peau puis à l’aide d’un boîtier de commande elle pourrait envoyer des pulsions électriques. Cependant, pour envisager cette intervention, Mme F doit « être mieux psychologiquement ». Elle reprend alors rendez-vous et vient avec son dossier médical, le courrier médical la somme d’être suivie psychologiquement. Elle se demande donc comment je « la trouve ».
À ce jour, les médecins lui ont proposé une autre intervention puisque le neurostimulateur n’est pas efficace sur ses douleurs. Il s’agit de la stimulation magnétique transcrânienne répétitive qui consiste à appliquer des impulsions magnétiques indolores à travers la paroi crânienne pour provoquer l’apparition de courants électriques dans la zone cérébrale située juste au-dessous. Si la patiente réagit positivement c'est-à-dire si les douleurs diminuent, alors il serait envisageable de poser des électrodes directement sur le cerveau, un boîtier sous la clavicule et un boîtier de commande pour envoyer des pulsions électriques. Mme F est en attente de cette intervention, elle lui « permettrait de compenser le stress du travail qui lui enlever sa douleur ».
 « La douleur est une barrière entre les gens et nous » indique Mme F. Ce symptôme semblerait apporter une limite à son corps qui « tombe » et lui permettrait une nouvelle identification : « douloureuse ». Cette nomination lui permet de s’identifier à d’autres et lui permet de ne pas dire « je ». 
Alors que le discours médical peut être pris au pied de la lettre, « il faut cacher votre douleur », la réponse de Mme F est de se cacher en restant dans le noir dans sa chambre. Comment ce sujet peut-elle faire avec ces propositions chirurgicales qui seraient miraculeuses ?
À ce jour, la médecine élève au rang de maladie, la douleur[2]. Il apparaît nécessaire de faire savoir que cette dernière peut avoir une fonction symptomatique pour un sujet. L’acte du psychologue est aussi de l’indiquer afin de poser d’une part une limite dans les opérations chirurgicales pour le sujet ; d’autre part de limiter une médecine de plus en plus technicienne.


[1] Circulaire DGS/DH n° 98-586 du 24 septembre 1998 relative à la mise en œuvre du plan d'action triennal de lutte contre la douleur dans les établissements de santé publics et privés, écrit par  B. Kouchner

[2] Dr B. CALVINO, Chercheur à l’INSERM à Paris, aux Régionales de la douleur, Saint Malo, septembre 2013