Marie-Édith
Cypris
Troisième et dernier
extrait du texte de Marie-Edith Cypris à propos du thème de notre forum. Le
sous-titre a été choisi par le comité éditorial.
Une autre case pour les transgenres
La catégorie femme
n’est pas un ensemble homogène. Il est donc vain d’espérer produire un jour un
discours honnête qui débute par « nous les femmes ». Si on ne peut
pas dire « nous les femmes » c’est simplement parce que celles-ci ne
sont pas d’accord sur ce qu’est une femme ; ce qui sous-tend que beaucoup
ont une idée sur ce que sont ou devraient être les autres. Par exemple doit-on
juger que celles qui s’affichent à la télé en bimbo écervelé sont la honte du genre féminin, et qu’elles auraient
besoin d’une rééducation ? Oui ou non, chaque femme est-elle libre d’être
celle qu’elle veut être ? De plus, les pétasses de la télé, comme les actrices
pornos, sont célébrées comme des femmes dignes d’éloges… La question est :
qui complote pour glorifier cette tentation ?
Par ailleurs,
l’utilisation d’une catégorie est épuisée dès lors que je dépasse les critères
qui la fondent. C’est précisément parce que l’identité féminine apparaît
désormais plus complexe que les vieux schémas ne tiennent plus. Ne faut-il pas
s’en réjouir et s’emparer de ces nouvelles dimensions féminines ? Bien des
femmes nous ont montré et nous montrent ce nouveau champ des possibles de la
pensée et de la création au travers desquels le féminin se révèle libéré du
joug de la connivence identitaire avec le modèle économique masculin. C’est
peut-être là l’un des plus authentiques moyens pour la femme de se réapproprier
une identité sociale. En outre, « que veulent les femmes ? »
reste une question à laquelle il faut laisser à chaque femme l’occasion de
répondre. […]
Est-ce que les
anciennes théories sur les femmes, et en premier lieu celles de la
psychanalyse, ont encore une quelconque validité ? N’ont-elles pas dépassé
leurs dates de péremption ?
Repenser les
paradigmes masculin/féminin, c’est actualiser leur conception, pour gommer les
fictions qui les parasitent. Dès lors, leur utilité devrait apparaître
d’elle-même, car il semble impensable de se passer de ce qui contribue à se
réaliser, cette altérité masculin/féminin, qui fusionne chez chacun et chacune,
comme pivot central de l’identité.
Je terminerai par une
observation qui me vient de mon métier d’aide-soignante. Il s’agit d’une
différence des sexes, qui, si elle est fondée biologiquement, ne constitue pas
moins pour les femmes, un handicap, au sens hippique du terme, voire épique,
quand il s’agit de s’élancer sur le long chemin de la vie avec ce corps de
femme.
Les festivités
commencent à la puberté avec l’apparition des premières règles, soit un
programme d’un demi-siècle, à raison d’une fois par mois. Ensuite peut venir le
temps des neuf mois de maternité, associé à la trentaine d’heures que peut
durer l’accouchement. A moins que le traumatisme de l’avortement soit passé par
là. Les réjouissances continuent avec ce bébé qu’il faut materner, le cas
échéant lui donner le sein. Cela n’empêche pas que la plupart des femmes
doivent s’user au travail, car elles sont loin de toutes accéder à des
professions qui leur permettent de s’économiser et d’économiser ! Plus
vite qu’on ne croit, la femme est confrontée à la ménopause et ses
joyeusetés : bouffées de chaleur, trouble de l’humeur et de la libido,
perte progressive des règles.
Etape où le choix est
simple : soit je compense par des oestrogènes et j’augmente mon risque de
cancer du sein, soit j’endure les méfaits de cette période, et j’augmente mes
risques d’ostéoporose, avec à la clé une promise fracture du col du fémur pour
mes vieux jours (90% de ces fractures frappent les femmes). Pendant ce temps,
Monsieur, lui, a découvert la puberté avec enchantement, y compris son premier
rapport avec une femme, ce qui n’est pas souvent le cas pour une fille vierge.
Puis, sa vie adulte s’installe en douceur, au cœur de laquelle brille son vœu
pieux, la préservation de sa virilité. Ce n’est souvent qu’entre 70 et 80 ans
que soudains son corps masculin se rappelle à lui. Après une carrière et un
tableau de chasse qui lui ont donné tant d’occasions de prendre la grosse tête,
voilà que c’est sa prostate qui enfle ! Alors c’est le plan écarlate,
c’est qu’Monsieur y plaisante pas avec ces organes qui l’autorisent à se tenir
droit. « Voilà c’est finiii », chantait Jean-Louis Auber. C’est
exactement la lueur qui s’échappe de son regard en post-opératoire. Comme une
cause à effet, le v’là rendu à s’afficher chochotte, à muter en porcelaine de
Limoges, comme si le symbolique s’était éteint en même temps que sa glande.
On observe chez les
femmes une dignité, un courage devant la maladie, inhérents à l’histoire de
leur corps, que je viens de décrire. Alors que chez les hommes, en principe
vierges de tourments corporels jusqu’à un âge avancé, ce manque de familiarité
avec les faiblesses du corps les anéantit. L’hôpital est un sanctuaire qui,
au-delà de toute politique, préserve la différence des sexes.
Pour conclure, d’une
part il conviendrait de produire une analyse critique sur les dérives des
discours actuels qui se réclament des théories
du genre, et qui ne sont qu’empilements d’amalgames, qui n’ont pour objet
que les désirs subjectifs de leurs auteurs : « Nous devrions tous
nous demander –et à haute voix, pas
secrètement dans les couloirs- dans quelle mesure l’exploration
scientifique est falsifiée par les penchants personnels des experts ».
(Robert-J. . Stoller)
Autrement dit :
faire le tri dans les revendications militantes qui entendent se poser en
savoir. Un certain nombre trouvent leur validation parce qu’elles bénéficient
de la plus large visibilité politique et médiatique, sûrement pas parce
qu’elles auraient le moindre intérêt scientifique.
D’autre part, la
question transgenre ne doit-elle pas interroger les institutions sur la
pertinence d’une autre case que homme ou femme ? Car il s’agit, de droit,
de se refuser à être l’un ou l’autre. La réflexion doit s’ouvrir sur la
possibilité d’être civilement considéré dans une case « autre ».
Quant à convenir que
des transgenres hommes, qui ont gardé leurs organes génitaux et leurs facultés
de procréer, soient considérés à l’état civil comme « femmes », une
telle réassignation serait tout à fait illégitime. De fait, la revendication
d’appartenance au genre opposé à celui de la naissance, sans référence au
corps, ne peut justifier le changement de sexe.