Seconde
partie de l’entretien entre Aurélien Bomy, Solenne Albert et le
Docteur Raphaëlle Pioud-Martigny
A.B. :
Depuis quand pratiquez-vous ce type d’interventions ?
R.
P-M. : Je fais de la reconstruction depuis une quinzaine
d’années et de la mastectomie prophylactique depuis dix ans
A.B. :
Comment avez-vous appréhendé cette nouveauté ?
R.P-M. :
Vous voulez dire moi, personnellement ou professionnellement ?
A.B. :
Les deux.
R.P-M. :
Professionnellement ça me paraissait tout à fait indiqué.
Étant donné que je pratique moi-même la reconstruction, ça allait
de soi de faire une mastectomie à une femme porteuse d’un tel
risque. Surtout des femmes jeunes (parfois 30 ans).
A.B. :
Est-ce que ça entraînait une différence au niveau de l’acte
chirurgical ?
R.P-M. :
Pas techniquement. Mais dans l’encadrement des patientes oui. Quand
il faut enlever un sein parce qu’il y a un cancer, c’est un geste
fait dans l’urgence. Il y a moins la notion de choix sur la
décision de se traiter ou pas. L’encadrement est donc différent
par rapport aux patientes qui entrent véritablement dans la maladie.
Il y a donc toute cette notion psychologique aussi car pour ces
femmes il y a toujours le doute de savoir si elles font le bon choix.
Elles ont besoin de réfléchir… on les voit souvent en
consultations. En général plus elles attendent, plus c’est rare
qu’elles prennent la décision.
S.A. :
qu’est-ce qui retient leur choix ?
R.
P-M. : Il est évident qu’avec la reconstruction on n’a
plus les seins d’avant. La peau va perdre ses sensations, on va
reconstruire un mamelon. Ça sera plein de différences qu’il va
falloir adopter. Chaque femme investit plus ou moins ses seins. Il y
a une symbolique qu’on ne gère pas forcément non plus.
S.A. :
Qu’est-ce qui fait que des femmes vont sortir du doute pour faire
le choix, ou bien vont ne pas choisir ?
R.P-M. :
C’est surtout l’exemple familial…
A.B. :
Cette question du choix se pose sur des probabilités qui ne sont
jamais à 100%.
R.P-M. :
Pour une femme mutée, c’est quasiment 100%. En effet elles peuvent
développer un cancer à 80 ans. Mais c’est aussi vivre avec ce
risque. Le risque c’est l’expression du gène qui s’exprime de
plus en plus tôt. Il y a toujours la possibilité de se dire :
« est-ce que je vais en développer un ? ». « Est-ce
que je vais vivre assez vieille pour en développer un ? ».
Et puis « est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? »
A.B. :
Rencontrez-vous des situations auxquelles il est difficile de
répondre pour des raisons éthiques ?
R.P.M :
Non. Je ne vois pas.
S.A. :
L’élément que nous découvrons et qui n’est pas forcément
connu, c’est qu’avec ce gène muté, il y a 90% ou plus, de
risques de développer la maladie.
R.P-M. :
Oui, c’est énorme.
S.A. :
C’est un élément que les médias ne reprennent pas dans les
questions qu’ils soulèvent. Ils parlent d’éthique, mais ne
disent jamais qu’il y a une telle probabilité !
R.P-M. :
Les médias parlent d’éthique ?
S.A. :
Oui, concernant le fait de faire une mastectomie avant même que la
maladie ne soit déclarée.
R.P-M. :
Non. Ce sont des femmes qui vont être malade un jour, c’est
inexorable. Par contre on est incapable de leur donner l’âge exact
et de leur dire quand exactement.
S.A. :
Le test ne permet pas de prédire cela ?
R.P-M. :
Non.
A.B. :
Rencontrez vous des situations de patientes qui refusent des
opérations qui leurs sont proposées malgré des risques très
importants ?
R.
P-M. : Oui. Il y a des femmes qui préfèrent se faire
surveiller que de faire l’opération.
A.B. :
Avez-vous une idée du pourcentage de femmes ayant une mutation
détectée qui font la mastectomie prophylactique ?
R.P-M. :
Ça n’est pas la majorité.
A.B. :
Avec peu de recul, sentez-vous un effet de la médiatisation du
cas d’Angélina Jolie sur les demandes des femmes que vous
rencontrez ?
R.P-M :
Je n’ai pas senti de surcroît de consultations. Pour certaines
chirurgies les gens ont besoin d’être rassurés. Pour plus de 85%
des femmes qui ont un cancer du sein, c’est d’origine
environnementale. Certaines vont venir avec cette question de savoir
si c’est génétique. C’est un peu de la panique. Chez les femmes
mutées, je n’ai pas senti de mouvement de panique, ni de surcroît
d’avis chirurgical. Ces femmes sont très bien informées et sont,
en général, bien au clair sur les possibilités de prise en charge
ou de surveillance.
S.A. :
85% des cancers du sein ne sont donc pas génétiques ?
R.P-M. :
Oui. C’est le moins fréquent. Il n’y a que 10 à 15 % des
cancers du sein où l’on va retrouver une prédisposition
génétique. C’est rare. Mais compte tenu du nombre important de
cancers du sein, ça ne l’est pas tant que ça.
A.B. :
Quand vous revoyez vos patientes après l’intervention, comment
vous parlent-elles des incidences de la chirurgie préventive ?
R.P-M. :
Je dirais qu’elles sont soulagées d’avoir pris la décision, par
rapport à l’appréhension psychologique. Certaines vont adopter
très vite leurs seins et passer à autre chose ; d’autres,
qui seront moins axées sur leurs seins ou sur elles-mêmes ; et
d’autres pour qui ça restera toujours difficile car ce n’est pas
leurs seins d’avant, ils restent
synonymes d’une blessure, d’un traumatisme.
S.A. :
C’est plus rare, les femmes qui ont du mal à assimiler ?
R.P-M. :
Non. Pas forcément. C’est moitié-moitié. Je pense que
l’accompagnement est important.
S.A. :
Est-ce qu’après un an ou plus, des femmes peuvent continuer à ne
pas assimiler ou à ne pas s’approprier leurs seins ?
R.P-M. :
Oui. Il faut à chaque fois avoir des conduites de réassurance, leur
expliquer… Il y a cette difficulté
d’adoption… Et puis, la reconstruction fait des cicatrices
ailleurs. On met des prothèses, ce sont des corps étrangers. On
peut les ressentir, il y a une certaine raideur. De tout ça elles
sont informées au moment de la décision.
S.A. :
Les personnes pour qui c’est plus difficile ont-elles plus
facilement recours à un suivi psychologique ?
R.P-M. :
Je le propose à chaque fois.
S.A. :
Je suppose que toutes n’acceptent pas ?
R.P-M. :
On les invite à consulter au moins une fois. Certaines n’ont
pas besoin. De plus c’est une démarche qui n’est pas facile à
faire…
S.A. :
Est-ce que ces femmes qui ont besoin d’un soutien plus étayé sont
aussi celles pour qui la décision va être plus compliquée à
prendre ?
R.P-M. :
Oui mais pas toujours. Car il y a toutes les questions qu’elles
peuvent se poser et toute l’histoire personnelle. Ce que je
remarque, c’est que celles qui ont du mal à prendre la décision,
c’est très rare qu’elles finissent par la prendre. Et je ne
pousse pas.
(A
suivre)