Second
extrait du texte de Marie-Édith Cypris. Le sous-titre a été choisi
par le comité éditorial.
□Homme,
□Femme,
□Autre,
Marie-Édith
Cypris
II
« Se
défaire des lois liées au paradigme de genre »
Quand
la personne transgenre revendique que les actes médicaux
auto-prescrits nécessaires à sa transformation, alors qu’elle
refuse d’être considérée comme atteinte d’une affection,
doivent être classés par l’assurance maladie et en droit de la
santé, tel que le sont l’avortement et la maternité, on voit que
le procédé est sans limites. Les femmes enceintes ne sont pas
malades, mais elles présentent toutes, de manière irréfutable, le
même état biologique. Les transgenres plaident que le droit à
disposer de son corps est un droit qu’on leur refuse. Mais l’accès
aux actes médicaux pris en charge par l’assurance maladie est
restrictif, dans la mesure où il est ouvert aux personnes dont
l’état biologique ou psychologique est sujet à diagnostic. C’est
d’ailleurs le cas pour les transsexuel-les. Il semble donc que le
désir des transgenres, en l’absence de souffrance, relève
davantage de soin et de chirurgie esthétique. Ils nous assurent
eux-mêmes ne connaître aucune douleur qui découle de leur état,
mais que lorsque la dépression s’installe, elle est toujours
consécutive du fait, soit de ne pas pouvoir être pris en charge à
100% pour leur transformation, soit parce que celle-ci étant
terminée – même si elle n’aboutit qu’à une morphologie
hybride – qu’on leur refuse le changement d’état civil. Si
sur le fond je suis libre de choisir mon genre, apparaît ici à
l’avant-scène la problématique des moyens et de la reconnaissance
par la justice.
Admettre
qu’une prise en charge à 100% serait légitime pour un désir de
changer de genre, ce serait le concéder aussi de plein droit à tous
les hommes et toutes les femmes qui souhaiteraient masculiniser ou
féminiser davantage leur corps par de la chirurgie esthétique, pour
paraître plus homme et plus femme dans leur genre habituel. C’est
exactement ce qui arriverait si la PMA sortait du droit de la santé.
De n’être plus réservée aux couples stériles, donc pour raison
de santé, pour devenir un droit pour les couples homo mariés, elle
ne manquerait pas de devenir un droit pour tous.
Le
masculin/féminin garde une marge de manœuvre, à condition que je
conserve une apparence discernable de mon genre, de plus, parce que
cette identité sociale est corroborée par ma carte d’identité.
Il en est ainsi pour tous les hommes et toutes les femmes.
C’est
dans une sorte de sublimation que le champ d’un soi non stéréotypé
devient possible, la création, la profession. Le masculin/féminin
trouve là, il me semble, une étendue délivrée des contraintes de
genre, et même si l’égalité des droits homme/femme au travail
est loin d’être à portée de main, le fait est que l’essentiel
est que la femme soit devenue partie prenante sur cette scène, où
son horizon pour se réaliser s’est considérablement élargi ;
le métier étant notamment facteur d’autonomie, vecteur
d’émancipation, et révélateur de l’identité.
La
femme, admise dans les arts, la pensée et la littérature, ou dans
un métier, a pu et pourra avec le temps se défaire des lois liées
aux paradigmes de genre, désormais obsolètes. Cependant, si la
manipulation d’autrefois sautait aux yeux, l’autorité avec
laquelle elle dominait les femmes n’en était pas menacée pour
autant. Ce n’est donc pas parce que la manipulation est devenue
plus insidieuse qu’il n’y a pas nécessité de maintenir un
esprit critique vigilant.
Si
les vertus comme le courage peuvent provenir de l’éducation, et
que celui-ci concerne autant les hommes que les femmes, même s’il
apparaît souvent par des manifestations différentes chez l’un et
l’autre, il n’en va pas de même pour certaines notions de genre
immatérielles. La partie visiblement dure, au sens innée, de la
sensibilité dite féminine, ne me semble pas pouvoir être l’objet
d’une éducation ou d’un apprentissage. Elle serait plutôt un
invariant immanent du féminin, certes, d’intensité plus ou moins
flagrante selon les femmes. La sensibilité excessive d’un homme
peut être rapprochée du féminin, d’autant qu’en revanche, lui,
on l’a éduqué en l’alertant [sur le fait] que la sensibilité
pouvait menacer sa virilité, qu’elle était une marque féminine.
Il doit donc se conformer à ce principe de défiance quant à sa
sensibilité, pour être homme parmi les hommes au risque d’être
perçu comme une femmelette ! Notons qu’une sensibilité
exacerbée chez les hommes aurait sérieusement compromis la
domination masculine…
Cet
exemple de la sensibilité féminine montre que le genre ne se limite
pas à une mascarade de l’apparence et du comportement, mais qu’il
y a bien à l’œuvre en lui de l’instinct masculin/féminin, qui,
s’il a été exploité par l’institutionnalisation culturelle et
politique des genres, le fait apparaître plus que ce que la
désignation de la société en fait.
C’est
notre pensée mise en actes qui produit ce que nous sommes ; à
l’instar du moi, l’identité de genre n’est pas figée tant que
l’acte libre reste la possible révélation de la personne à
elle-même. Bergson nous invite à nous expulser de nous-même :
« Soyez vous-même, mettez-vous tout entier dans vos actes,
devenez ce que déjà vous êtes ». Ce que nous sommes déjà,
c’est sans doute notre liberté de penser, qu’il convient de
mettre en actes, afin qu’apparaisse dans nos œuvres, ce que nous
entendons en nous par masculin/féminin.