Chirurgie prophylactique


Aurélien Bomy et Solenne Albert ont rencontré le Docteur Raphaëlle Pioud-Martigny, chirurgien spécialisée en gynécologie et chirurgie du sein, exerçant à Nantes. Pour le blog du forum Campus-psy ils ont conversé avec elle à propos de la chirurgie prophylactique.
Nous remercions le Docteur Pioud-Martigny d’accepter que cet entretien soit publié.
En voici la première partie.

Aurélien Bomy : Angélina Jolie dans un entretien accordé au New York Times, a révélé récemment avoir « subi une double mastectomie préventive ». Ces révélations ont fait la une de nombreux magazines, apprenant au grand public l’existence de la pratique, jusqu’alors méconnue, de la chirurgie prophylactique. Dr Pioud-Martigny, pouvez-vous nous dire en quoi cela consiste ?

Dr R. Pioud-Martigny : Cela consiste à enlever la glande mammaire car les femmes, chez qui elle est pratiquée sont prédisposées à un risque majeur de développer un cancer uni ou bi-latéral. Le fait d’enlever la glande mammaire va diminuer de pratiquement 90% le risque qu’elles développent un cancer du sein. Ça n’empêche pas une surveillance, de la peau du sein notamment que l’on va conserver, des aires ganglionnaires, parfois des ovaires. Car il y a d’autres prédispositions, à d’autres cancers : celui des ovaires notamment. En conservant la peau du sein, on va pouvoir leur proposer de reconstruire un volume mammaire dans le même temps que la mastectomie.

Solenne Albert : Dans le même temps ?

R.P-M. : Oui. L’intérêt de cette technique est de pouvoir proposer la reconstruction mammaire. Que les femmes puissent se réveiller avec un volume mammaire et pas de mutilation. En sachant que ce ne sont pas leurs seins d’avant. La chirurgie ça donne des seins différents qu’il va falloir adopter, des sensations différentes aussi, mais ça évite la mutilation.

A.B. : Vous parliez d’une prédisposition chez ces femmes à développer un cancer du sein. Il s’agit donc d’une intervention pratiquée suite à une enquête génétique ?

R.P-M. : Ce sont des femmes qui ont un contexte familial avec de nombreux cas de cancer du sein au fil des générations. Il peut y avoir des sœurs des cousines… et chaque génération est très marquée par le cancer du sein et le cancer des ovaires pour l’un des deux gênes. Une recherche génétique a lieu pour savoir si elles sont porteuses de mutation sur les deux gênes que l’on connait pour l’instant (BRCA1 et BRCA2). Si oui, on sait qu’elles risquent (50%) de le transmettre à leurs descendants. On proposera alors à la fratrie, aux ascendants et descendants d’être dépistés. Quand ces personnes font cette démarche, c’est toujours avec leur accord, elles sont majeures et sont d’abord informées qu’un membre de leur famille est porteur de ce gène muté. Après elles font la démarche, ou pas, de se tester pour savoir si elles sont porteuses.

A.B. : Les interventions de chirurgie prophylactique que vous pratiquez sont donc réalisées avant que ne se développe une maladie dont une prédisposition a été avérée ?

R.P-M. : Oui. On sait qu’elles sont porteuses de ce gène muté, mais elles n’ont pas encore développé la maladie.

A.B. : Depuis quand cette pratique existe-t-elle en France ?

R. P-M. : Le dépistage génétique BRCA1/BRCA2 existe depuis peut-être une quinzaine d’années. En France, on pratique la chirurgie prophylactique depuis une bonne dizaine d’années parce qu’il y a de plus en plus de dépistages. Ceux-ci se sont de plus en plus organisés ; il y a des unités de génétique, et l’on va, lorsqu’une femme développe un cancer du sein, systématiquement lui poser la question de ses antécédents familiaux et orienter certaines d’entre elles vers un dépistage génétique. Sachant aussi que toutes les femmes mutées n’acceptent pas une mastectomie prophylactique.

S.A. : Que se passe-t-il alors ?

R. P-M. : Les femmes mutées peuvent être suivies avec des contrôles plus réguliers ; c’est une démarche de dépistage du cancer plus poussé. Elles choisissent plutôt le dépistage car elles ne sont pas prêtes à faire l’opération. Elles ont donc des examens : mammographie, échographie tous les ans et des IRM. D’autres femmes ont peur de la maladie et préfèrent se débarrasser de leurs glandes mammaires par une mastectomie radicale.

A.B. : La chirurgie est-elle proposée dans tous les cas de mutation génétique avérée ?

R. P-M. : Oui. Lors des consultations avec le généticien, au moment de la restitution du résultat, si celui-ci est positif. Il leur explique les différentes voies possibles : soit la surveillance, soit la mastectomie prophylactique. Après il y a toujours un délai de réflexion. On conseille d’être suivi psychologiquement parce que ce n’est pas facile de savoir qu’on est muté avec le risque que ça entraîne. Et on leur propose toujours de rencontrer un chirurgien pour savoir en quoi consiste cette opération. Ce n’est pas un coup de baguette magique la chirurgie ! Il peut y avoir des complications. Dans la reconstruction aussi. Il est très important que ces femmes soient bien informées, qu’elles connaissent les tenants et aboutissants de leur choix entre le dépistage et une technique plus active.

A.B. : Vous disiez qu’en Amérique cette pratique est beaucoup plus développée et qu’elle peut être proposée sans qu’une mutation ait été dépistée.

R.P-M. : Il y a quelques années, aux Etats-Unis, les mastectomies prophylactiques étaient plus fréquentes, même dans des contextes non-mutés, chez des femmes qui avaient des problèmes de surveillance. Ils en reviennent… Enlever un sein à une femme n’est pas anodin. La reconstruction ce n’est pas rien non plus. Psychologiquement, ce n’est pas facile d’adopter son nouveau corps. En plus il faut voir si ça en vaut la peine par rapport au risque de cancer, aux risques liés à cette chirurgie. La mastectomie prophylactique nous la pratiquons dans un contexte où ces femmes ont quasiment 100% de probabilités, si elles vivent jusqu’à 100 ans ou 90 ans, de développer un cancer du sein. De plus ce sont des femmes qui, bien souvent dans leur famille ont connu de nombreux cas de cancers sur plusieurs générations et de plus en plus jeune. Elles vont avoir plus tendance à choisir une démarche active et thérapeutique que de surveillance.

A.B. : Y-a-t-il des lois qui encadrent la pratique de la chirurgie prophylactique ?

R. P-M. : Non, il n’y a pas de loi.

A.B. : Des consensus ?

R.P-M. : Oui des consensus dans nos professions en cancérologie, des indications en fonctions des évolutions scientifiques, mais pas de lois.

A.B. : Est-ce que cela entraîne des différences de pratiques d’un médecin à un autre ?

R. P-M. : En France nous avons la chance d’être très encadrés. Nous avons tous des référentiels de spécialités, des indications. Ces femmes-là passent systématiquement en UCPO (unité de ciblage pharmacologique en cancérologie) en discussions pluridisciplinaires. Quand elles sont mutées et qu’il y a une indication de chirurgie prophylactique, on a un consensus sur leurs dossiers qui est présenté en unité pluridisciplinaire de cancérologie, avec une obligation d’avoir rencontré au moins une fois un psychologue. Et il y a un délai d’au moins trois mois avant d’envisager la chirurgie.
(A suivre)