Un
texte de Marie-Édith
Cypris
En
mars et avril 2013 deux textes de Laetitia Jodeau-Belle sont parus
sur le Blog du Forum Campus-Psy à propos du transsexualisme. Le
premier faisait largement référence à l’ouvrage de Marie-Édith
Cypris, Mémoires d’une transsexuelle. La belle au moi dormant,
paru chez PUF en 2012.
Madame
Cypris ayant lu ces textes a souhaité apporter sa propre
contribution à notre blog. Elle nous a adressé un long article,
intitulé
□ Homme
□ Femme □ Autre
dont
elle nous autorise à publier des extraits. Nous la remercions
vivement de sa contribution à notre réflexion.
Voici
le premier texte qui sera suivi d’autres pages de l’auteur dans
les prochaines parutions du blog.
□Homme,
□Femme,
□Autre,
I
Une
vérité à soutenir dans la réalité sociale
Marie-Édith
Cypris
J’ai
pu insister sur ce point dans mon ouvrage Mémoires d’une
transsexuelle : mon identité personnelle, a fortiori l’idée
que j’ai de mon genre, ne sont que pré-identités présumées par
mes soins car corrélées à l’occasion d’apparaître à l’autre,
en devenant identité sociale1.
« C’est le regard de l’autre qui me constitue » nous
dit Lacan, d’où l’identité personnelle n’est qu’un songe
qui se ballote, infusant dans le liquide amniotique d’une
cérébralité recluse.
Elle
est condamnée, peu ou prou, à un délitement par le réel, et il
nous faut accepter cette distorsion qui écrit notre histoire passée,
présente et à venir. À ce sujet, Clément Rosset précise que
« l’on s’en tient à vos faits et gestes, pas à ce qui
peut vous passer par la tête ». Mon genre, ni nommé ni
reconnu par l’autre, n’est qu’un projet intime, qui reste une
vérité à soutenir dans la réalité sociale. Il sera donc évalué
non pas sur les critères que je porte dans mon identité personnelle
fantomatique, mais selon les codes et les lois qui ont cours dans la
culture sociale où j’apparais.
Le
genre ne serait-il pas in fine l’identité sociale féminine
et masculine, dont nous sommes contraints d’intérioriser la loi,
en alignant corps et psyché sur ses modèles, qui nous incitent de
plus à l’hétérosexualité ? L’identité personnelle et
sexuelle ne pouvant se résoudre à demeurer sans identité sociale,
les troubles de l’identité sexuelle et de genre portent les
preuves, par leur quête de se normaliser socialement, que sexe et
genre, même corrompus par les institutions et les lois, sont des
outils obligatoires à la construction de soi.
Un
homme transsexuel ne ressent aucune identité personnelle et de genre
pour sa vocation masculine. Seuls le refus de son corps et les
tourments de sa psyché fondent son état ; de fait, il est
incapable de se construire une identité sociale. D’où sa
désignation comme étant de genre masculin lui reste totalement
étrangère, en dépit de son sexe anatomique. Dès qu’il règle
son problème d’identité sexuelle en changeant de sexe, il devient
capable de se mettre en scène et de déployer une identité
personnelle entérinée en identité sociale. Et cela passe aussi par
le changement d’état civil, la carte d’identité, tout document
qui atteste de l’identité sociale désormais approuvée. Au point
que les choses ne marchent pas pour les trans dès lors que
l’identité de genre personnelle fantasmée, n’est pas reconnue
par les tribunaux.
C’est
le cas en France pour les hommes qui, par exemple, souhaitent garder
leurs organes génitaux, et devenir femmes sociales. D’où cette
rage désespérée qui s’exprime via un militantisme qui n’a pour
objet, quant à leurs identités personnelles et à leur corps
mi-homme mi-femme, dont ils décident du genre, que d’être reconnu
comme identité sociale. Ce qu’obtient le transsexuel homme, au
prix d’une castration et d’une reconstruction d’un sexe
féminin, qui d’ailleurs lui ouvre les portes de son identité
personnelle emprisonnée, c’est la possibilité de son identité
sociale. En outre, il n’ignore pas la place qu’a pris son corps
dans cette construction, et de fait, corps et psyché lui ont révélé
son empêchement d’acquérir identité personnelle et identité
sociale de genre.
Ce
que fait l’identité sociale pour l’identité personnelle et le
genre, elle peut aussi le défaire. Quand je perçois un malaise dans
mon identité personnelle ou mon genre, je peux être sûr que la
cause se trouve dans mon identité sociale. Souffrance au travail,
problèmes dans mon couple –car, oui, le couple est déjà de
l’identité sociale – prise de poids ou signes corporels de l’âge
qui m’écartent des stéréotypes, quand des décalages modifient
la conscience que j’ai de moi-même, de mon identité personnelle,
c’est dans l’identité sociale que le mal se découvre. D’où
l’identité personnelle est insignifiante, c’est l’identité
sociale qui est signifiante. (A suivre)