The Human Body Exhibition



Marjolaine Mollé

À Cracovie, les affiches pour « The Human Body Exhibition » parsèment les murs de la ville, attirant le regard par l’image d’un corps écorché, évoquant le « Cavalier de l’Apocalypse » de Fragonard. Située dans une zone industrielle, non loin de la célèbre usine Schindler, l’exposition présente 200 corps et organes, sains ou malades, conservés grâce à une technique de « plastination » ou d’imprégnation polymérique. Cette technique, qui consiste à remplacer les liquides organiques et les graisses par du silicone, vise à se défaire de l’image, de l’apparence, pour mieux entrevoir les mécanismes du corps. C’est en quoi elle est différente de la taxidermie qui tente de conserver l’apparence de la vie. Au-delà de l’image, le réel du corps est dévoilé.
Les corps sont présentés dans des postures, mis en scène : l’un d’entre eux lance un ballon de rugby, un autre est assis devant un livre d’anatomie… ou bien découpés. Les différents systèmes du corps sont exposés : musculaire, respiratoire, digestif, nerveux, reproducteur, urinaire et une salle est dédiée à chacune des fonctions du corps humain. La vie fœtale est présentée dans une pièce à part du circuit de la visite, comme si l’exposition de fœtus et de prématurés étaient plus tabous et nécessitait une démarche supplémentaire de la part du visiteur pour aller voir.
La société organisant cette exposition met en avant le caractère pédagogique et scientifique d’une telle présentation, avançant que l’anatomie ne devrait pas être réservée aux seuls médecins. La visée est également prophylactique : après avoir vu des poumons atteints d’un cancer, il est proposé aux visiteurs fumeurs de jeter leur paquet de cigarettes dans un réceptacle destiné à cet effet ! Ou encore, l’adjectif possessif « votre » est utilisé dans les explications comme pour amener le visiteur à se sentir plus concerné. L’idée qu’une meilleure connaissance du fonctionnement du corps permettrait de meilleurs choix dans le style de vie écarte la question du corps pulsionnel et de la jouissance. De quel savoir s’agit-il ? Aucune connaissance anatomique ne vient dire le rapport singulier que le sujet parlant entretient avec son corps, au un par un, ni ne répond à la question « qu’est-ce qu’un corps ? » du point de vue de l’économie psychique et libidinale.
Une telle exposition est très controversée et soulève de nombreuses questions éthiques et légales. S’agit-il d’une mise en scène scientifique et moderne de notre réalité corporelle, qui permettrait de « s’émerveiller » devant la mécanique et le fonctionnement du corps humain ou de l’exhibition macabre de cadavres humains ?
L’anatomiste allemand, Gunther Von Lagens, surnommé « Docteur Mort », est à l’origine du procédé de plastination et il a proposé lors de l’exposition « Body World » des corps préparés par ses soins, mis en scène dans des postures et présentés comme des œuvres d’art. Il a également réalisé une émission de télévision, « Anatomy for begginers », qui présente des dissections de corps faites devant un public.
En 2009, une exposition du même genre intitulée « Our Body, à corps ouvert » avait été présentée puis interdite à Paris. Deux associations « Ensemble contre la peine de mort » et « Solidarité Chine » avait porté l’affaire en justice, dénonçant le fait que l’origine des corps n’avait pas pu être prouvée. Il pourrait s’agir d’un trafic de corps de prisonniers chinois condamnés à mort. On peut d’ailleurs se demander si ce genre de rumeurs n’a pas contribué à faire une publicité indirecte pour ces expositions. La Cour de Cassation a conclu que « l’exhibition de cadavres humains à des fins commerciales est contraires à la décence et de ce fait illégale en France ». Pour le Comité consultatif national d’éthique, il s’agit d’une « atteinte à la dignité humaine » Mais la France semble être le seul pays à avoir pris cette position et des expositions de ce type prolifèrent.
Trente millions de personnes ont vu ce type d’exposition en Europe ou aux États-Unis. Qu’est-ce-qui, dans cette exhibition, éveille la curiosité du visiteur qui explique un tel succès ? Le regard en tant qu’objet pulsionnel est convoqué dans un pousse-à-jouir scopique, ainsi que la jouissance mortifère du visiteur-spectateur face à l’horreur. Comme dans le mythe de la Méduse, le regard, objet d’angoisse, dévoile la castration, le manque-à-être, les semblants. Une étrange fascination angoissée, difficile à supporter, saisit le spectateur et le laisse étranger à lui-même, en proie à un sentiment d’Unheimlich.
Sous couvert d’une visée pédagogique, scientifique ou encore artistique, cette exposition est avant tout de l’ordre du spectaculaire et du sensationnel et entre dans la lignée du voyeurisme suscité par les émissions de téléréalité. Le discours capitaliste se mêle au discours de la science, comme en témoignent la marchandisation des corps et la réification de la mort. De telles manifestations contribuent à donner un aperçu du rapport du sujet contemporain à son corps.