Claude
Oger
Femme de quarante ans, Vanina consulte parce qu’à
l’intérieur de son corps, ça bouge dans tous les sens. Très angoissée par ses
os, ses ligaments, ses muscles, ses dents toujours en mouvement, elle est
envahie par ces phénomènes depuis l’opération plastique de sa mâchoire.
« L’écarter » était un impératif qu’elle a pu réaliser après la
rencontre du chirurgien qui enfin a accepté l’intervention.
La chirurgie plastique apparaît comme la panacée au
trouble de l’estime de soi. La lecture du Courrier International le montre
comme un phénomène mondialisé.
À la clinique de chirurgie plastique Time1, de Shanghai le chiffre d’affaires est en hausse de 40 % par rapport
à l’année dernière, à cause de la crise économique. Beaucoup ont perdu leur
emploi, « ils
veulent mettre toutes les chances de leur côté pour leur prochain entretien
d’embauche », précise, le docteur Liao Yuhua, avant
d’ajouter que les familles chinoises « soutiennent » activement cette
tendance. Dans sa clinique, les interventions les plus demandées consistent à
débrider les yeux et à allonger le nez. Bon
nombre de ses patients sont des médecins, des infirmières ou des professeurs.
« La beauté est un facteur de communication très important dans ces
professions », le Dr Yuhua se rappelle d’une époque où tout
recours à la chirurgie esthétique aurait été vu comme un signe de décadence
bourgeoise.
En Pologne2, la correction des oreilles constitue 90 % des opérations esthétiques
effectuées sur les enfants. « Chez nous, on en dénombre une cinquantaine
cette année, soit 25 % de plus qu'en 2012 », explique le chirurgien
Tadeusz Witwicki, de Varsovie. « La plupart des opérations sont effectuées
juste avant la période de la première communion (juin) et avant les grandes vacances »,
ajoute Jerzy Wielgus, de l'Euroclinique de Katowice, en Silésie. « Pour
certains parents, l'opération esthétique constitue le même genre de cadeau que
l'ordinateur pour la première communion de leur progéniture. « J'ai déjà
rencontré un parrain qui a offert de l'argent pour la correction du nez de son
filleul », affirme la psychologue Anna Nowakowska.
Au Brésil, les pauvres ont eux aussi le droit d’être
beaux : telle est la devise du plus célèbre des chirurgiens esthétiques
brésiliens, Ivo Pitanguy. Un anthropologue américain Alexander Edmonds3 réfléchit aux conséquences de cette démocratie du bistouri. L’opinion de
Pitanguy soulève pour Edmonds une autre question : la beauté est-elle un droit
qui doit être mis en œuvre, au même titre que l’éducation ou la santé, avec le
concours et les compétences des pouvoirs publics ? Le chirurgien dit avoir une
approche « humaniste » de la médecine. Il a à son actif plus de 800
publications, techniques pour la plupart. Ses écrits, qui couvrent un champ
très large, lui ont valu un fauteuil à la prestigieuse Académie brésilienne des
lettres. Son œuvre présente une justification thérapeutique radicale de la
chirurgie esthétique. Pour Pitanguy, ce n’est pas le corps que l’on soigne,
mais l’esprit. Un chirurgien plasticien est un « psychologue avec un
bistouri à la main ». C’est pour cela que Pitanguy plaide pour
« l’union » des actes de chirurgie esthétique et réparatrice. Un
changement qui s’est produit dans le paysage thérapeutique au Brésil. La
psychanalyse et la chirurgie plastique, qui étaient jadis des spécialités à la
marge, ont progressé de pair. Les idées de Pitanguy n’auraient pas eu autant
d’influence si l’homme n’avait pas la réputation d’être un chirurgien de
talent. La culture populaire brésilienne regorge d’une nouvelle sorte de
célébrité : la siliconada, être « plus parfaite ».
Comme partout dans le monde, au Brésil les patients de la
chirurgie esthétique sont en majorité des femmes. Dans les favelas, les rêves
de mobilité sociale sont beaucoup centrés sur le corps. Des associations
proposent des cours gratuits de mannequinat. Le mariage est souvent considéré
comme un luxe hors d’atteinte, la séduction comme un moyen d’échapper à la
pauvreté. Pour beaucoup l’attrait physique joue un rôle essentiel dans la
concurrence économique et sexuelle, la visibilité sociale et le bien-être
mental. Cette « valeur » de l’apparence est particulièrement
importante pour ceux qui sont exclus des autres modes d’ascension sociale. Pour
les pauvres, la beauté est souvent une forme de capital qui permet d’acquérir
d’autres avantages, aussi petits, passagers ou peu propices au changement
collectif qu’ils soient.
En Inde4, devenue abordable dans les villes de province, la chirurgie esthétique
fait fureur. Les parents n’hésitent pas à envoyer leurs filles pour en faire de
parfaites femmes à marier. Maintenant, ce sont les hommes qui se bousculent au
rayon cosmétique. Non pas pour offrir un cadeau à leur amoureuse, mais bien
pour s’acheter la dernière crème éclaircissante à la mode. Ils se préoccupent
aussi d’améliorer leur quotidien, notamment en s’offrant un physique plus
agréable. Les chiffres sont impressionnants. Le rapport 2010 de la Société
internationale de chirurgie esthétique place l’Inde au quatrième rang mondial
des centres de chirurgie esthétique. 5,2 % des interventions chirurgicales
mondiales y sont effectuées juste derrière les Etats-Unis, le Brésil et la
Chine. Les stars de Bollywood restent la beauté de référence dans toutes les
petites et moyennes villes indiennes. Nirmala, une jeune femme, présente sa
requête à son chirurgien, comme si elle demandait à un tailleur de reprendre un
chemisier trop grand. Mais en Inde une
femme doit faire le maximum pour apparaître comme l’épouse idéale.
Cette quête de l’image parfaite
tyrannise Vanina. Elle résonne sans fin, en miroir, avec la parole de sa mère.
Elle a tenté de réeliser, avec l’assentiment d’un chirurgien, le signifiant
maternel « écarté » qui l’épingle dans son corps depuis sa plus
tendre enfance. Mais depuis, l’image s’en trouve envahie d’une jouissance
mortifère. Être parfaite peut virer au cauchemar.