Nathalie Morinière
Le progrès de la science biologique en matière de
P.M.A. plurielles et variées, pousse les États à cadrer et ordonnancer la
distribution de la jouissance. Face à ce bouleversement biomédical, et à ces
nouvelles pratiques rendues possibles techniquement, il y a urgence à faire
appel à l’Autre de la loi qui apparaît ici, comme étant la seule réponse à « l’Autre qui n’existe pas »[1]. Une
quinzaine d’experts œuvrant au sein de commissions de loi bioéthique, sont
tenus de plancher sur ces évolutions sociétales, et sont contraints de donner
leurs conclusions au Parlement européen pour l’été 2013.
L’évolution du statut de
l’enfant
Même si le mouvement juridique actuel est soucieux de
sécuriser le statut de l’enfant au regard de ce qu’il vit, et non plus
uniquement au regard de la vérité biologique, il n’en demeure pas moins la
responsabilité singulière qu’incombe au législateur, de qualifier le statut de
« la mère fragmentée ». Cette nouvelle appellation juridique fait
référence à la parenté ternaire composée de « la mère donneuse
d’ovocyte », de « la mère qui porte l’enfant », et de « la mère
d’intention, celle qui élève l’enfant ». De mater certissima on passe à la notion de mère incertaine. Ce n’est
pas la mère qui accouche, mais la « mère d’intention » qui est
reconnue comme étant la « vraie » mère.
L’enjeu auquel se heurtent les experts, est de tenter de
neutraliser l’impact subjectif que pourrait avoir cette notion de « mère
fragmentée » sur le devenir de l’enfant et les droits qui lui seront
octroyés.
Or, dégager une « ligne européenne » en la
matière, semble relever de l’impossible tellement les disparités juridiques
sont colossales. Seul le Royaume Uni autorise le recours à une « mère
porteuse » en vertu d’une loi de 1985 qui admet la G.P.A.[2] « sous
une forme éthique, altruiste, et non commerciale », et qui s’appuie sur
« une évaluation de l’environnement familial, psychologique, social et
financier dans lequel vit la femme qui portera l’enfant ». D’autres pays,
tels que la Grèce, la Belgique, l’Irlande et les Pays-Bas, accordent une
certaine tolérance en faveur de la G.P.A. ; mais dans la plupart des
autres états européens, comme en France depuis 1994, la G.P.A. est prohibée. Pour
autant, deux cents enfants français naissent en moyenne chaque année de
« mères porteuses ». En toute clandestinité, les futurs parents
n’hésitent pas à traverser les frontières et les océans en direction du Canada,
des États-Unis, de la Russie, ou encore de l’Inde et de l’Ukraine, prêts à
débourser des sommes conséquentes.
Cependant, un point sur lequel s’accordent les pays membres,
c’est la protection de l’enfant, considérant que la transparence en matière de
sécurité juridique pour l’enfant revêt un caractère prioritaire. Or, en
l’absence d’une législation commune, chaque État reste libre face à cette
pratique qui soulève de nombreuses questions éthiques telles que la
marchandisation du corps.
Don altruiste ou
marchandisation du corps
En l’absence d’un encadrement légal, l’essor et le
développement de la G.P.A. peut prendre la forme de pratiques
sordides. En Ukraine par exemple, les « utérus à louer » se recrutent
par la voie des petites annonces. Les « tarifs » en vigueur y sont dix
fois moins élevés qu’aux États-Unis où la pratique est encadrée. La question de
l’instrumentalisation du corps de ces femmes est également posée dans la mesure
où il y a un risque notoire d’atteinte à la liberté et à la sécurité d’autrui.
La loi en faveur de cette pratique prévoit un montant d’indemnisation
financière. Or, il s’agit d’un don qui n’a pas de prix. Dans ce cas,
l’orientation à envisager est-elle celle du don altruiste telle qu’elle se
pratique au Royaume Uni ? Ou bien, comment la loi peut-elle être garante
d’une procédure marchande ?
Par ailleurs, même si les risques d’enjeu vital pour le corps
sont très faibles, le risque zéro n’existe pas. Des risques moins graves, mais
loin d’être anodins, sont évoqués, tels que « le risque de fausse couche
évalué à 20% pour des grossesses faisant suite à une fécondation in vitro avec
les ovocytes de la donneuse ; le risque de grossesse extra-utérine évalué
à 12% ; ou encore, celui de grossesse gémellaire évalué à 20% »[3] suite
au transfert d’embryons multiples optimisant le succès de l’affaire.
Pour l’enfant à naître, l’évaluation des risques de
malformation fœtale se pose également afin de pouvoir, entre autres,
diagnostiquer à l’avance le risque d’abandon ou d’IVG. Dans ces cas de figure,
à qui revient la prise de décision ? Quels droits et quels préjudices
pourront être évalués dans ce contexte de parenté ternaire ?
Filiation et
psychanalyse
Loin d’être élucidées, ces problématiques de bioéthique laissent
apparaître le réel auquel le sujet parlant aura affaire : le mystère de la vie et
celui des origines. De fait, ce nouveau quadrillage législatif, aussi
nécessaire soit-il, témoigne d’un reste, celui d’être en défaut pour traiter la
jouissance du corps propre. Dans ce même fil, il laisse en suspens la question
du sujet dans son rapport singulier au langage, mais aussi dans son rapport au
désir, et à l’Autre de son fantasme. Pour la psychanalyse, la question éthique
s’oriente du traitement au un par un. Il n’y a pas de réponse valable pour
tous. Aussi, la question nouvelle est de savoir comment le sujet contemporain
de notre société bio médicalisée, pourra t’il se déprendre de ce réel
impensable ? Quel « nouage sinthomatique »[4] pourra
t’il construire ? Par l’espace de parole que propose la psychanalyse,
pourra-t-il solliciter « l’Autre de lalangue »[5] afin
de tirer au clair ce qui s’impose à lui dans le cadre de cette « parenté
ternaire », et déjouer le scénario fantasmatique inconscient qui lui est
étroitement corrélé ?
[1] Laurent E. et Miller
J.-A. : « L’Autre qui n’existe pas et ses comités d’éthique »
[2] G.P.A. :
Gestation pour autrui
[3] Notes issues du 6ème
colloque de droit de la famille, à Angers le 21 juin 2013.
[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil.
[5] Miller J.-A., « Les six paradigmes de la jouissance », La Cause freudienne, n° 43, 1999.