Nathalie Charraud
Au départ, une
histoire vraie : un jeune fonctionnaire de l’ambassade de France à Pékin
tombe follement amoureux d’une diva de l’opéra de Pékin dans les années
soixante. S’ensuit une histoire rocambolesque d’espionnage qui s’étale sur
vingt ans, au bout desquels l’espionne démasquée s’avère être un homme !
Ce fait divers inspira
à David Henry Hwang une pièce de théâtre, M. Butterfly, qui connut un beau
succès à Londres. David Cronenberg s’en empara comme base du scénario du film
éponyme qu’il tourna avec Jeremy Irons dans le rôle titre et John Lone dans le
rôle de la diva.
« Je le vois
comme l’histoire de deux personnes qui composent l’opéra de leurs vies. Ils ne
créent pas seulement une histoire d’amour, ils créent leur propre version de la Chine et surtout ils créent
leur propre sexualité », déclare David Cronenberg dans une interview.
Cette histoire d’amour, de sexe et de Chine transcende donc la question du
genre et aborde la rencontre avec l’Autre dans sa dimension dramatique,
traumatique.
Rencontrer la femme de
ses fantasmes, la « femme orientale » qui se soumet au « maître
blanc » tout en manœuvrant son désir et dirigeant entièrement leur relation,
a valeur de traumatisme pour le mâle blanc. À force de
« faux-semblants » pour reprendre le titre d’un autre film du
cinéaste, tourné avec le même merveilleux acteur, les semblants faux deviennent
vrais et prennent poids de réel. Il l’appelle « ma Butterfly », du
nom de celle, la Japonaise
trompée qui, dans l’opéra de Puccini, se tue par amour pour un piètre
américain. Butterfly va devenir le
nom, l’écran de son fantasme.
Transposé dans la Chine des années soixante,
au tournant de la révolution culturelle, Butterfly subit le sort réservé aux
artistes : le camp de rééducation, à casser des cailloux dans une carrière
en plein soleil. À l’avant poétique des rencontres clandestines se substituent
les stratégies de survie et Butterfly va troquer son rôle de diva contre celui de
Mata-Hari. La vie de Callimard bascule elle aussi dans une sorte de cauchemar
éveillé alors même qu’il est retourné à Paris.
Mais c’est lui, qui choisit et jouit
de se laisser duper, qui s’égorgera dans la scène finale où l’on retrouve la
touche sanglante de Cronenberg. Déguisé en un pathétique clown féminin
extraordinairement interprété par J. Irons, il peut découvrir, aux deux sens du
terme, sa vérité conclusive : « j’ai aimé une femme qui n’existait
pas, inventée par un homme ».